

Genre : Témoignage 🇫🇷
352 pages
« À quelques mois d’intervalle, la vie m’a rendu témoin des deux événements qui me font le plus peur au monde : la mort d’un enfant pour ses parents, celle d’une jeune femme pour ses enfants et son mari.
Quelqu’un m’a dit alors : tu es écrivain, pourquoi n’écris-tu pas notre histoire ?
C’était une commande, je l’ai acceptée. C’est ainsi que je me suis retrouvé à raconter l’amitié entre un homme et une femme, tous deux rescapés d’un cancer, tous deux boiteux et tous deux juges, qui s’occupaient d’affaires de surendettement au tribunal d’instance de Vienne (Isère).
Il est question dans ce livre de vie et de mort, de maladie, d’extrême pauvreté, de justice et surtout d’amour. Tout y est vrai. »

Cela fait de nombreuses années que j’avais envie de découvrir ce titre, particulièrement pour son volet judiciaire. Emmanuel Carrère est un auteur avec lequel j’ai une relation quelque peu compliquée ; il faut savoir qu’il se met – du moins dans celles que j’ai lues – énormément en scène dans ses œuvres et qu’il est bien souvent très difficile de ne pas céder à une nette forme d’antipathie le concernant. Paradoxalement, cette antipathie le rend terriblement humain et donne à ses livres un furieux goût de « reviens-y ». Sa bibliographie me fait donc vivre des émotions inédites – jamais un auteur ne m’a fait osciller à ce point entre agacement profond et vive émotion.
Et ça n’a ici pas manqué. D’autres vies que la mienne s’attache à retranscrire deux évènements relativement consécutifs dans la vie de l’auteur : d’abord, son vécu (lointain) du tsunami de 2004 alors qu’il est en vacances avec sa compagne au Sri-Lanka. Puis quelques mois plus tard, le décès de sa belle-sœur (sœur de sa compagne) Juliette Devynck, à peine âgée de trente-cinq ans, d’un cancer. Dans les quelques jours qui suivent sa mort, Emmanuel Carrère fait la connaissance d’Etienne Rigal, collègue juge de la jeune femme, qui a cette phrase : « Avec Juliette, nous avons été de grands juges ». L’affirmation surprend l’auteur, un peu bourgeois dans sa façon de penser. Comment ces deux êtres, « simples » juges d’instance d’une ville de province, ont-ils pu compter autant que cela ?

« Étienne en est venu à penser que même s’ils ne se revoyaient plus, ce n’était pas tellement grave parce que Juliette faisait partie de lui, qu’elle était devenue une instance de son esprit, l’interlocuteur à qui s’adressait une partie de son monologue intérieur, et il ne doutait pas que pour elle s’était pareil. »

Il faut savoir une chose au sujet de ces deux-là : tous les deux ont eu un cancer à l’adolescence. Etienne a été amputé d’une jambe et est vu comme « le juge boiteux ». Juliette, elle, a les jambes quasi inertes et ne peut se déplacer sans ses béquilles. Le hasard a voulu qu’ils travaillent ensemble, sur une catégorie de dossiers bien précise : le surendettement. Durant leurs années d’exercice, ils ont obtenu de nombreuses victoires contre les organismes de crédit à la consommation en sachant chaque fois pointer du doigt LE détail rendant un contrat caduc ou abusif. Il est donc dans ce livre beaucoup question de la justice, de la manière dont elle est appliquée, du lien et de la solidarité qu’elle peut créer, mais aussi de batailles pour les autres et pour soi-même. Toute cette partie est réellement passionnante.
Il n’y a bien sûr pas que cela dans le livre. E. Carrère va par exemple longuement revenir sur le couple que formaient Juliette et son époux, qui l’a d’ailleurs accompagné dans ses tout derniers instants, ou encore raconter en début de récit son vécu du tsunami de 2004. Deux histoires a priori différentes, qui ne le sont pas autant que ça, puisqu’elles parlent tout autant de la vie et de la mort, de l’amour ou encore de ce mélange entre empathie et soulagement égoïste de n’être finalement que lointainement concerné. D’autres vies que la mienne ne plaira clairement pas à tout le monde ; comme je le disais plus haut, passer outre la personnalité de l’auteur n’est pas chose évidente et n’a finalement pas d’intérêt parce que ses œuvres sont un peu un « package » à prendre entièrement ou à laisser. Néanmoins, je me suis laissé porter par ce récit-fleuve diablement bien écrit et n’oublierai pas ses personnages de sitôt.


En conclusion… Une très bonne lecture, à la fois émouvante et stimulante.
↪ Je vous partage la très juste chronique de Demain je lis, dont je ne connaissais jusque-là pas le blog.
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