Les hurleuses (#1 Vaisseau d’Arcane), Adrien Tomas

Genre : Fantasy/Steampunk 🇫🇷

377 pages

Note : 3 sur 4.

[Lu dans le cadre du Prix Imaginales des Bibliothécaires 2021.]

« Au Grimmark, la magie peut foudroyer en un éclair. Ses victimes, les Touchés, ne sont plus jamais les mêmes : ils possèdent une incroyable puissance, mais leurs esprits sont à jamais anéantis.

Lorsque son frère Solal est frappé par l’Arcane, Sof, infirmière raisonnable et sans histoire, décide de tout risquer pour le sauver du destin de servitude qui l’attend. Dans leur fuite éperdue à travers les steppes infinies et les forêts boréales, ils découvriront un monde sublime et redoutable.

Mais leur liberté est vue comme un affront, leur existence même comme un blasphème. Dans leur ombre, des factions s’affrontent, tissant autour d’eux un écheveau de machinations dont elles tirent les fils avec une virtuosité machiavélique.

La magie n’est pourtant pas une puissance qui se dompte … »

Exactement comme avec Quitter les monts d’automne d’Émilie Querbalec il y a quelques jours (en termes de lecture) et quelques semaines (en termes de publication d’article), j’ai la sensation – avec cette note de trois étoiles – d’être trop « dure » avec ce roman ou bien trop exigeante au moment où j’entame cette introduction. Et c’est là que l’utilité d’écrire des chroniques sur ce blog se trouve, puisqu’en rédigeant la conclusion, je vais probablement me dire : « bah oui, c’est bien un trois étoiles, c’est évident ! Il y a quand même ça qui a fait que … même si la fin était énorme ». Mais bref, trêve de bla bla. Article longuissime en perspective.

Ce premier tome de la saga Vaisseau d’arcane (j’ignore combien il y en aura au total d’ailleurs) est un roman à points de vue multiples, nous permettant une entrée en matière efficace à un monde non pas tortueux, mais se trouvant à un tournant géopolitique majeur.

Il y a tout d’abord la Sof du résumé, de son patronyme complet Sofena Gyre. Sofena est une jeune infirmière sans histoire, qui vit un quotidien bien huilé dans son pays le Grimmark et se dévoue corps et âme à sa profession qui la passionne – et l’épuise. Sofena n’est pas une insouciante : elle a conscience que son pays et ses frontaliers sont dans une situation très tendue – d’autant que son fiancé est un gradé de l’armée. Quant à son frère, Solal, c’est un journaliste réputé pour rédiger des articles au vitriol sur le pouvoir en place. Un soir pourtant, ce dernier devient un Touché comme cela arrive épisodiquement au Grimmark : frappé par la foudre de l’Arcane – une énergie étrange, il semble perdre son intellect et ne devenir qu’un corps habité par une magie mystérieuse. Les Touchés sont une manne pour l’autorité en place, puisque ce sont des puits de magie utiles à la bonne marche de certains services comme les transports en commun par exemple. En toute logique, Solal devra donc être pris en charge par l’État et dire ciao à son libre-arbitre à jamais. Cependant, Sofena ne l’entend pas de cette oreille : elle en est persuadée, il reste au fond du regard de son frère qu’elle connaît si bien une infime partie de lui. La sage infirmière prend alors une décision radicale : celle de fuir avec Solal et de devenir de fait hors-la-loi.

À côté de cela, d’autres personnages vont entrer en jeu. Nym en premier lieu, un assassin aux services du Grimmark mais dont l’allégeance semble virevolter ; et Gabba Do, un jeune et idéaliste diplomate du peuple des Poissons-Crânes, venu du fond des Abysses sur la terre ferme grâce à un système d’armure/aquarium (pour faire simple).

« “- Décalez-vous, s’il vous plaît, ordonna la jeune femme sans se retourner. Vous êtes dans ma lumière et dans le rayon d’infection.

– Le rayon d’infection ?

– La distance à laquelle le moindre de vos postillons, cheveux, squames et fibres a une chance d’atterrir dans la blessure de votre ami et d’aggraver encore son état. Je dois déjà opérer à même le sol et sans matériel adéquat : n’empirez pas les choses, je vous prie.

– Comment puis-je m’assurer que vous n’allez pas en profiter pour l’achever ? » s’enquit Domka avec méfiance.

Le regard que la jeune femme lui décocha lui fit perdre quinze centimètres d’un coup.

« J’ai prêté un serment de guérisseuse ! rugit-elle. Une promesse d’apporter mon aide et mes compétences aux blessés et aux mourants, indépendamment de leurs origines raciales ou sociales, de leur sexe ou de leur religion ! Comment osez-vous imaginer que … que j’irais … que je pourrais …” »

Ce premier tome affiche de grandes ambitions en proposant un monde fantasy à la croisée du Steampunk, le tout additionné à un contenu politique important. Tout ce qui va toucher à l’Arcane promet une fantasy classique, avec une puissance qui dépasse la compréhension, peut-être un.e élu.e, des affrontements entre différentes races à venir. Et en fond, les tractations politiques sont incessantes avec des jeux de pouvoir, de corruptions, des questions de frontières et de stratégie qui apportent une efficace modernité. Le fait qu’Adrien Tomas réunisse tous ces aspects que la fantasy peut revêtir fait qu’on se trouve face à un livre qui a toutes les chances de plaire au plus grand nombre, sans pour autant se départir de sa complexité. Ce sentiment est d’ailleurs renforcé par l’alternance des points de vue : là où un Nym a connaissance des plus hauts sommets de l’État et va donc se focaliser sur les jeux de pouvoir, une Sof sera face au cheminement classique d’une héroïne dont la vie change du jour au lendemain. Cela induit donc également forcément du rythme : personnellement, j’ai ressenti des longueurs et redondances qui n’en font de fait pas une lecture parfaite, mais le récit dans sa globalité lui enchaîne les retournements, les enjeux et les surprises avec efficacité.

Globalement, la construction est donc tout de même aux petits oignons : j’avais lu une saga de l’auteur, il y a longtemps et je trouve qu’il a pris une maturité vraiment belle à voir. Sa plume n’est pas transcendante dans le sens où il n’y a pas d’envolée comme – pour citer d’autres livres lus dans le cadre du Prix Imaginales des bibliothécaires – dans Quitter les monts d’automne ou Le chant des cavalières. Vaisseau d’Arcane, c’est de l’artisanat, du savoir-faire, du travail, une envie de faire passer des idées et des convictions aussi, car il y a quelques passages très engagés (et parfois un peu didactique pour le coup). Je ne me suis pas dit « Wow ! » devant la « poésie » des mots, mais suis hyper admirative de cette capacité à construire un monde, un peu comme face à Moitiés d’âme (#1 Chroniques des Cinq Trônes) d’Anthelme Hauchecorne.

Tout autant réussis, les personnages donnent une vraie force et un véritable souffle à l’histoire. Sofena, en premier lieu, est une jeune femme intéressante. À partir du moment où son frère a été frappé par l’Arcane, elle a cessé d’être humaine ou d’être Grimmoise pour devenir exclusivement une sœur qui cherche à tout pris à préserver son frangin de l’inéluctable. Elle ne se place (pour l’instant) nulle part sur l’échiquier politique, mais n’est pas sans conviction – à commencer par son sens de l’honneur ou sa croyance en le soin pour tous indépendamment de toutes considérations extérieures (bravo à l’auteur pour cette belle héroïne soignante d’ailleurs et cet attachement à mettre en valeur des compétences). Nym est également un personnage complexe, qu’on a envie d’apprécier. L’auteur joue clairement avec nos nerfs le concernant : on a un fort désir de repentance, de romance, de révélations glorieuses … Et il n’en est rien. Le jeune diplomate Gabba Do m’a lui offert mes meilleurs moments : je rappelle qu’il est issu du peuple des Poissons-Crânes, vient donc de la mer et se déplace sur terre avec une sorte – si je l’ai interprété correctement – d’armure/aquarium mécanisée. Sa naïveté, son impuissance face au jeu politique et sa sincère envie de faire bouger les choses font de lui un héros vraiment inédit, qui apporte au titre un angle de vue passablement désillusionné.

Bref, vous l’aurez compris. J’ai beaucoup aimé ce que j’ai lu ici même si tout n’est pas parfait – ce premier tome pêchant parfois par son envie de ne pas perdre le lecteur. Néanmoins, quand je repense à ces cents dernières pages qui se délestent enfin de l’aspect introductif, je me dis que l’auteur en a encore très gros sous le capot et que le second tome, s’il est dans cette lignée, promet d’être très bon. J’ai donc hâte de lire ça !

En conclusion … Un premier tome bourré de bonnes idées, qui pêche parfois par son côté trop introductif. Néanmoins, le dernier-tiers envoie du très, très lourd et promet le meilleur pour la suite !




5 réponses à « Les hurleuses (#1 Vaisseau d’Arcane), Adrien Tomas »

  1. […] : celle de Boudicca, celle de Célinedanaë, d’Ombre Bones, de Yuyine, du Chroniqueur, de Mahault, de […]

    Aimé par 1 personne

  2. […] Vaisseau d’Arcane, tome 1 : Les hurleuses, d’Adrien Tomas >>MA CHRONIQUE<< : Voilà un auteur que je n’avais pas lu depuis loooongteeeeeemps ! Il était déjà très […]

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :