
Genre : Contemporain đșđž
592 pages
â Le cĂŽtĂ© pĂ©dagogique ; Bien Ă©crit ; Le volet judiciaire.
đŽ Quelques passages peu pertinents ; L’abondance de âclichĂ©sâ peut gĂȘner.
« Ruth Jefferson est sage-femme depuis plus de vingt ans. Câest une employĂ©e modĂšle. Une collĂšgue accommodante. Câest aussi la seule afro-amĂ©ricaine de son service. Le jour oĂč un couple de suprĂ©macistes blancs demande Ă ce quâon lui interdise tout contact avec leur bĂ©bĂ©, Ruth est choquĂ©e de voir sa hiĂ©rarchie accĂ©der Ă leur requĂȘte. Quand le nourrisson dĂ©cĂšde quelques jours plus tard, câest elle qui est pointĂ©e du doigt. AccusĂ©e de meurtre, Ruth va devoir rĂ©pondre de ses actes devant la justice. Mais sa couleur de peau ne la condamne-t-elle pas dâavance ? »
Je commence trĂšs souvent mes chroniques ainsi, mais ⊠cela faisait un bout de temps que jâavais envie de dĂ©couvrir Jodi Picoult. Beaucoup de ses titres sont dâailleurs dans ma wishlist depuis longtemps. Câest donc Ă lâoccasion dâune LC LivrAddict portant sur le titre Mille petits rien que jâai dĂ©cidĂ© de me lancer. La thĂ©matique est forte, puisque le livre se propose dâaborder et dâexpliquer les structures et manifestations du racisme US envers les Noirs par le biais de trois points de vue : celui dâune infirmiĂšre noire, dâun suprĂ©maciste blanc et dâune avocate blanche commise dâoffice, qui va devoir dĂ©fendre la premiĂšre contre le second.
Ruth est infirmiĂšre obstĂ©trique (si jâai bien compris, elle est lâĂ©quivalent dâune sage-femme) dans un petit hĂŽpital du Connecticut depuis plus de vingt ans. Câest une femme compĂ©tente, fiĂšre du travail quâelle accomplit chaque jour et qui la passionne. MĂšre dâun adolescent de dix-sept ans aux rĂ©sultats scolaires exemplaires, veuve dâun mari mort en service en Afghanistan, elle mĂšne une vie besogneuse et discrĂšte. Un matin comme les autres Ă lâhĂŽpital, on lui demande de faire les premiers examens dâun bĂ©bĂ© nĂ© la veille : le petit Davis (en hommage Ă un suprĂ©maciste connu me semble-t-il. NĂ©anmoins, je pense que âlâironieâ est aussi que ce choix fait Ă©cho Ă Angela Davis). Bien vite pourtant, les parents se montrent froids et hostiles et lui adjoignent dâappeler sa supĂ©rieure. Leur problĂšme ? Ruth est Noire, et ils sont suprĂ©macistes blancs. Marie, la supĂ©rieure de Ruth le mentionne donc via un pense-bĂȘte apposĂ© Ă la va-vite sur le dossier mĂ©dical de lâenfant : âpas de soignant africain-amĂ©ricainâ. Ruth est la seule employĂ©e Noire de son hĂŽpital. Le coup est rude, dâautant plus que le bĂ©bĂ© dĂ©cĂšdera le lendemain, aprĂšs une rĂ©animation Ă laquelle elle sera forcĂ©e de participer.Â
Les Ă©vĂšnements sâenchaĂźnent, lâhĂŽpital souhaite plus que tout se dĂ©charger de la faute et les parents portent plainte contre Ruth. Le motif ? Elle aurait commis un crime de haine.
Arrestation arbitraire, systĂšme Ă deux vitesses oĂč lâargent rĂ©sout tout, racisme profondĂ©ment ancrĂ© en tout Ă chacun, quâon soit suprĂ©maciste ou certain de ne pas lâĂȘtre ⊠: le constat est sĂ©vĂšre, mais soyons honnĂȘte, plus que juste. LâentrĂ©e en scĂšne de Kennedy, une jeune avocate blanche commise dâoffice Ă lâaffaire de Ruth, fera office de guide dans les mĂ©andres de ce systĂšme qui a beaucoup Ă revoir.
« Marie se redresse, sa colonne vertĂ©brale se raidit.
– Je peux vous assurer que Ruth fait partie de nos meilleures infirmiĂšres, monsieur Bauer. Si vous souhaitez dĂ©poser une plainte officielle …
– Je ne veux pas qu’elle ou que quelqu’un d’autre comme elle pose les mains sur mon fils, coupe le pĂšre en croisant les bras sur son torse.
Il a remontĂ© ses manches pendant mon absence. Un tatouage recouvre son avant-bras, du poignet jusqu’au coude : le drapeau confĂ©dĂ©rĂ©. »
Le personnage de Ruth mâa particuliĂšrement questionnĂ© tout au long de ma lecture ; on parle en ce moment beaucoup du âown voiceâ, soit un auteur qui relate des faits ET les vit (par exemple personnage Autochtone/auteur Autochtone, etc.). Jodi Picoult sort-elle donc de son rĂŽle en prenant la voix de Ruth, alors quâelle-mĂȘme est une femme blanche ? A-t-elle vraiment, mĂȘme avec la meilleure volontĂ© du monde, la possibilitĂ© de relater rĂ©ellement le vĂ©cu de son personnage qui souffre du racisme au quotidien ?Â
Câest un dĂ©bat sur lequel jâai – trĂšs honnĂȘtement – beaucoup de mal Ă placer ma propre opinion ; encore plus aprĂšs cette lecture dâailleurs. On sent quâelle a abattu un travail de recherche fou comme elle lâexplique Ă la fin de son livre, mais cela sonne aussi comme des excuses ⊠Et câest un peu lĂ que le bĂąt blesse, puisquâon peut tourner ses arguments dans tous les sens ; dâautant que le roman met aussi lâaccent sur de nombreuses rĂ©demptions et prises de consciences diverses des personnages blancs. Et pourtant, difficile de lâimaginer ne pas donner la parole Ă Ruth, car quâaurait Ă©tĂ© ce roman alors ?
Ă lâimage du reste du roman, le point de vue du pĂšre suprĂ©maciste, Turk, est trĂšs instructif. MĂȘme si on ne rentre pas franchement dans le dĂ©tail, jâai appris sur lâorganisation de ces groupuscules, leurs recrutements, la maniĂšre dont ils vivent et continuent dâexister grĂące Ă internet. La construction de leurs convictions est effrayante tant il sâagit dâun mĂ©lange indigeste qui vu de lâextĂ©rieur ne semble avoir aucun sens.
Le point de vue le plus rĂ©ussi est Ă mon sens celui de Kennedy, la jeune avocate. Dâabord, car il est indĂ©niable quâen Ă©crivant, câest dans la peau de ce personnage que lâautrice semble se sentir le plus Ă lâaise. Lorsquâil sâagit de Turk et de Ruth, elle donne parfois lâimpression de prendre mille prĂ©cautions et de marcher sur des Ćufs tant elle se soucie de bien faire ; dĂšs quâil sâagit de Kennedy, le texte se fait plus fluide, le rĂ©cit plus entraĂźnant. Les cheminements de pensĂ©es de Kennedy sont intĂ©ressants. Au dĂ©but du rĂ©cit, elle compartimente : il y a le racisme, il y a la justice, il y a le rĂŽle de lâargent, ⊠. Elle ne nie pas les liens, mais disons quâelle ferme les yeux pour que chaque chose reste Ă sa place. Puis, au fur et Ă mesure, elle se rend compte de son irrĂ©flexion : tout est intrinsĂšquement liĂ©. Elle pourra toujours prĂ©tendre agir en arguant du contraire, cela ne changera rien Ă lâĂ©tat sociĂ©tal de son pays. En cela dâailleurs, elle est trĂšs proche de Ruth, qui vivait jusque-lĂ sa vie en niant que sa couleur de peau avait une quelconque importance. Quelques moments tout de mĂȘme sont gauches : je pense notamment Ă son idĂ©e dâaller dĂ©ambuler dans un quartier habitĂ© majoritairement par la communautĂ© Noire pour âressentirâ lâisolement. Ce passage mâa semblĂ© inutile, il nâapporte rien Ă lâhistoire et mâa mĂȘme franchement un peu gĂȘnĂ©.
Mon avis sur lâhistoire en elle-mĂȘme est donc, vous lâaurez compris, plutĂŽt mitigĂ©, mais penchant du cĂŽtĂ© positif de la balance. Je nâai en revanche rien Ă redire sur le style dâĂ©criture de lâautrice, qui parvient tout au long de lâhistoire Ă maintenir une tension efficace en Ă©vitant lâĂ©cueil des longueurs (car le livre est tout de mĂȘme assez Ă©pais) ; ce roman se lit vite, avec une certaine gloutonnerie – car il y a quelques rebondissements bien sentis – et surtout avec intĂ©rĂȘt, car bien que Jodi Picoult use de bons nombres de clichĂ©s, ces derniers portent Ă merveille la forte pĂ©dagogie (voulue) qui se dĂ©gage de lâĆuvre en elle-mĂȘme.Â
En conclusion … Ce ne sera pas un coup de cĆur pour moi, car quelques maladresses et questions que je me pose Ă lâissue de cette lecture pĂšsent trop lourd dans la balance. NĂ©anmoins, il y a un cĂŽtĂ© pĂ©dagogique, informatif dans ce livre que jâai trouvĂ© intĂ©ressant et enrichissant, particuliĂšrement au sujet du systĂšme judiciaire US et la non-maniĂšre dont y abordĂ© le racisme. Si ce sujet plus prĂ©cisĂ©ment vous intĂ©resse, câest un livre qui peut constituer une bonne entrĂ©e en matiĂšre.

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Cela fait aussi un moment que j’ai envie de dĂ©couvrir cette autrice! đ J’ai un autre roman d’elle dans ma PAL mais celui-lĂ pourquoi pas aussi!
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De mon cĂŽtĂ©, j’ai beaucoup hĂ©sitĂ© entre celui-ci et Une Ă©tincelle de vie, qui parle de l’avortement. Les sujets qu’elle traite sont toujours trĂšs sensibles, Mille petits rien me semblent donc une bonne porte d’entrĂ©e pour la dĂ©couvrir. đ
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