Genre : Science-Fantasy 🇫🇷
703 pages
[Relecture]
« Imaginez une Terre poncée, avec en son centre une bande de cinq mille kilomètres de large et sur ses franges un miroir de glace à peine rayable, inhabité. Imaginez qu’un vent féroce en rince la surface. Que les villages qui s’y sont accrochés, avec leurs maisons en goutte d’eau, les chars à voile qui la strient, les airpailleurs debout en plein flot, tous résistent. Imaginez qu’en Extrême-Aval ait été formé un bloc d’élite d’une vingtaine d’enfants aptes à remonter au cran, rafale en gueules, leur vie durant, le vent jusqu’à sa source, à ce jour jamais atteinte : l’Extrême-Amont. Mon nom est Sov Strochnis, scribe. Mon nom est Caracole le troubadour et Oroshi Melicerte, aéromaître. Je m’appelle aussi Golgoth, traceur de la Horde, Arval l’éclaireur et parfois même Larco lorsque je braconne l’azur à la cage volante. Ensemble, nous formons la Horde du Contrevent. Il en a existé trente-trois en huit siècles, toutes infructueuses. Je vous parle au nom de la trente-quatrième : sans doute l’ultime. »
(Re)Lecture faite dans le cadre du Book-Club mensuel LivrAddict de juin 2020.
✅ Un récit choral puissant ; Une plume très classique, mais qui me plaît ; La fin.
⛔️ Quelques moments un peu longs ; Des entourloupes stylistiques pas toujours utiles ; Un (gros) poil de sexisme dans le traitement des personnages féminins.
C’est seulement la deuxième ou troisième fois que j’écris la chronique d’une relecture sur ce blog depuis sa mise en ligne en 2017. Concernant La horde du contrevent, elle sera plutôt brève, quelque peu décousue (mais ça, c’est habituel), pas destiné à celles.eux qui ne l’ont pas lu et dénuée de résumé personnel, car je crois qu’il faut mieux entamer le livre en se contentant de la quatrième pour se l’approprier correctement.
« Nous sommes faits de l’étoffe dont sont tissés les vents. »
Ma première lecture de l’œuvre doit remonter aux alentours de l’année 2010, peut-être un peu avant. À l’époque, le livre m’était un peu passé à côté – je l’avais trouvé bien, agréable à lire MAIS pas bouleversant ; et en découvrant la blogosphère littéraire dans les années qui ont suivies (et la multitude de commentaires dithyrambiques), une sorte de regret est né : peut-être l’avais-je lu au mauvais moment ? Peut-être étais-je trop jeune ? Une relecture, un jour ou l’autre, s’imposait donc forcément pour en avoir le cœur net.
La réponse est non. Ce livre ne sera jamais un coup de cœur pour moi, voilà tout. J’ai apprécié redécouvrir la plume de l’auteur sous un nouvel œil plus mature et peut-être plus attaché à la qualité et au travail de la langue. Son style « sonne », c’est impressionnant à constater pour le coup – tout en restant en somme assez classique (au sens plus noble du terme) pour ne pas trop tomber dans le livre slogan (du genre celui dont on a envie de surligner toutes les phrases, car elles assènent des vérités bien senties, au détriment, souvent, d’une histoire qui se retrouve à manquer de liant ; ici j’ai parfois cette impression, mais de manière raisonnable). Concernant les personnages, là où lors de ma première lecture je ne m’étais de mémoire attachée qu’à Sov (qui « écrit » l’Histoire), c’est cette fois Pietro qui m’a le plus touché. Il est le personnage qui raconte ce qu’il voit et peut donc sembler au premier abord froid et dénué de profondeur – cependant, l’auteur parvient à faire ressentir en sous-texte une fragilité nichée en lui, comme s’il était près d’éclater à tout instant. Il m’a semblé en tout cas qu’il s’agissait du personnage le plus conscient de la situation – sans trop en dire – absurde de la Horde.
En revanche, si la fin était encore gravée dans ma mémoire, je ne me souvenais plus de la puissance avec laquelle elle est déroulée. C’est un détail idiot, néanmoins inconsciemment, il m’a semblé que l’idée de la pagination inversée renforçait ce sentiment.
« Lorsqu’on me demandait ce que j’espérais trouver en Extrême-Amont, cette question banale posée mille fois, je répondais maintenant : « J’espère trouver mon visage. Quelqu’un là-haut le sculpte à coup de salves dures. Chaque acte que je fais le modifie et l’affine. Mes fautes le balafrent. Mais peu importe : il se fait ; il m’attend, posé sur un socle. Et je le verrai, comme je vous vois devant moi, comme on se regarde dans un miroir enfin exact. Je verrai ce visage que je me suis fait tout au long de ma vie, juste avant de mourir. Ce sera ma récompense. » »
Deux trois réflexions tout de même :
- Peut-être est-ce parce que je suis plus sensibilisée aujourd’hui à la question, mais le traitement des femmes dans le récit joue aussi beaucoup dans mon ressenti final. Alors oui, la Horde vit en vase-clos, les liens se font et se défont, mais tout de même, tous les désaccords ne peuvent pas uniquement venir d’elles ! J’ajouterai à ça les trop nombreuses descriptions physiques (qui est belle, qui est moche, qui a les seins comme ci ou comme ça, qui est fraîche et réconfortante à regarder dès la levée du jour) qu’on ne retrouve pas/peu concernant les personnages masculins – j’aurais aimé savoir si les femmes aussi avaient le visage buriné par le vent, et les voir apporter autre chose que du réconfort, des soins, des problèmes et la possibilité de faire à manger. Alors oui, il y a Oroshi, mais même le traitement réservé à son personnage m’a parfois contrarié. Et je n’aborderai pas la question de la maternité …
- Peut-être moins mentionné dans les critiques lues, la qualité de l’arrière-plan avec pêle-mêle les anecdotes sur la formation de cette Horde, le monde « extérieur », etc. Même si la vedette est tenue par la Horde en progression, tous ces éléments bien qu’en fond m’ont paru très travaillés. Ils contribuent beaucoup à l’installation de l’ambiance si particulière que cette œuvre dégage.
- Je n’aime pas trop les livres-manifestes et apprécie vraiment qu’il y ait une part d’interprétation conséquente laissée par l’auteur.rice ; ce n’est pas un scoop A. Damasio est quelqu’un qu’on peut qualifier « d’engagé » et ça transparaît ici, bien que ce ne soit pas rédhibitoire. Néanmoins, je ne suis pas certaine qu’une autre de ses œuvres n’atteindrait pas mes « limites » (je pense aux Furtifs par exemple). Je ne pense donc pas poursuivre avec l’auteur.
En conclusion … Ce n’est pas LE roman qui a changé ma vie, néanmoins je conçois que rencontré au bon moment, il puisse l’être pour d’autres lecteurs.rices. Une seule chose à dire donc : il faut le lire pour se faire son propre avis !
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