Genre : Post-apocalyptique 🇺🇸
301 pages
« Rien n’est plus comme avant : le monde tel qu’on le connaît semble avoir vacillé, plus d’électricité ni d’essence, les trains et les avions ne circulent plus. Des rumeurs courent, les gens fuient. Nell et Eva, dix-sept et dix-huit ans, vivent depuis toujours dans leur maison familiale, au cœur de la forêt. Quand la civilisation s’effondre et que leurs parents disparaissent, elles demeurent seules, bien décidées à survivre. Il leur reste, toujours vivantes, leurs passions de la danse et de la lecture, mais face à l’inconnu, il va falloir apprendre à grandir autrement, à se battre et à faire confiance à la forêt qui les entoure, emplie d’inépuisables richesses. Considéré comme un véritable choc littéraire aux États-Unis, ce roman sensuel et puissant met en scène deux jeunes femmes qui entraînent le lecteur vers une vie nouvelle. »
Les + : Un texte à la résonance forte ; Le travail sur la notion du temps ; Des scènes vraiment puissantes.
Les – : /
Une lecture faite dans le cadre du book club mensuel Livraddict. Le lien >>ici<<.
Dans la forêt traînait dans ma liseuse – comme beaucoup d’autres de ses amis les livres – depuis longtemps. Je crois même l’avoir emprunté un jour à la bibliothèque et l’avoir rendu sans même le lire. Bref, il s’agissait de ce qu’il convient d’appeler un rendez-vous manqué. Cependant, grâce au book club mensuel de Livraddict, l’erreur est réparée ! Et je crois que cette lecture, de plus sous cette forme, n’aurait jamais pu aussi bien tomber.
Restreindre Dans la forêt a un roman post-apocalyptique a fait débat au sein même du book-club, tout comme le qualifier de nature-writing. Pour ce dernier point, je suis d’accord, car finalement la nature ne prend pas vraiment une place prépondérante – on ne peut pas dire tel que je le ressens que la fameuse forêt soit un personnage à part entière. Néanmoins, qualifier le texte de post-apocalyptique me semble juste et pas contrecarrer par le fait que le récit soit très intimiste.
« Mais tout ce que je savais alors, c’était que je ne voulais pas sortir de la maison. Il faisait trop froid dehors, et j’étais bien près du feu, faisant ce que je savais faire. Je ne voulais pas courir le risque de croiser son regard, de devoir entendre ces mots – cancer et mourante – dans la bouche de ma mère qui avait un cancer, qui était peut-être mourante.
Je crois qu’inconsciemment j’avais peur que si elle me demandait ce que je ressentais, mon chagrin et ma rage déchaînés nous tuent tous. Dans un coin de moi-même que je rejetais, je pleurais déjà et je hurlais et je la suppliais de ne pas me laisser, de ne pas partir. Si je me mettais à pleurer pour de bon, seul son réconfort pouvait me faire arrêter, et si elle mourait avant d’avoir fini de me réconforter, j’en serais réduite à pleurer pour toujours. Et puis, j’avais lu quelque part que l’attitude des patients atteints d’un cancer pouvait être à l’origine de leur maladie ou les en guérir, et je pense que j’avais peur que si nous admettions qu’elle pût mourir, ce simple aveu la tuerait. »
Dans la forêt, c’est une histoire qui nous sera racontée du point de vue d’une des deux protagonistes principales : Nell. Avec sa sœur Eva, elles vivent depuis plusieurs mois en autarcie dans une forêt de pins en Californie. Les deux filles n’ont pas encore dix-huit ans qu’elles sont déjà orphelines : la mère est décédée d’un cancer peut-être un ou deux ans auparavant. Quant au père, on comprend vite qu’un accident domestique lui a coûté la vie.
Cette autarcie était au départ un souhait des parents, du père surtout, qui rêvait cette vie autonome dans les bois et n’y a jamais vraiment mêler le reste de sa famille. Si lui travaillait en ville et faisait donc le trajet tous les jours ou presque, les filles n’allaient pas à l’école et la mère vivait confortablement de la vente de son art tapissier. Tout cela se conjugue désormais au passé, car une combinaison de différentes catastrophes (guerres, défaillance de l’alimentation du pays en électricité, …) ont changé leur vie radicalement, même à une si grande distance de toute civilisation. Désormais, Nell et Eva sont seules et vivent sur les réserves de la propriété.
« Je n’avais jamais entendu mon père hurler, n’avais imaginé une telle chose. Comme le voir pleurer à l’enterrement de notre mère, cela me faisait honte, pas tant à cause de ce que cela révélait de lui, mais parce que je n’avais jamais considéré la possibilité que mon père puisse pleurer – ou hurler. »
Cet « après » a une saveur différente ici, parce que moins soudain peut-être que dans d’autres œuvres. Nell nous l’explique en opérant des retours dans le passé : cela faisait quelques mois, voire quelques années qu’une guerre mondiale semble sévir entre la Russie et la Chine, puis il y a eu des pénuries, des coupures d’électricité de plus en plus fréquentes avant complète disparition. Ce n’est pas frappant durant le roman, car il happe, mais après coup, j’ai pensé à internet, à la téléphonie mobile, aux réseaux sociaux et plus globalement aux nouveaux canaux d’information … Certes, le livre est paru pour la première fois en France en 2017, mais a en réalité été écrit en 1996 ! Il y a donc une timide mention d’un ordinateur de-ci de-là, mais la difficulté pour la famille de s’informer au début des évènements s’explique aussi ainsi.
Néanmoins, et c’est sûrement ce qui fait les grands livres : le texte dit quelque chose d’assez intemporel sur l’écroulement, la solitude et le sentiment d’isolation. Sur le topic du book club (lien au début de l’article !) nous nous sommes toutes et tous accordés.ées sur un fait : le lire alors que nous venons de vivre une période – toute proportion gardée – de remise en question a rendu cette lecture plus puissante. Cela est renforcé par une écriture hyper travaillé, notamment au niveau du temps. Alors que le principe même du journal intime de Nell est censé nous donner une estimation relativement précise du temps (que sommes-nous sans ?) qui passe, Jean Hegland se sert de ce médium pour nous perdre totalement. C’est pour cela que je conseillerai après coup de lire le livre d’une traite (il est relativement court et rapide) ou au moins sur un temps resserré, d’autant plus qu’il n’est pas chapitré.
De ce fait, il faut tout de même préciser que toute la dimension post-apocalyptique se situe relativement en arrière-plan. Seule la survie élémentaire – manger, boire – est exploité tout au long du roman, ainsi que des questionnements sur la folie ou la solitude, ou encore la peur de l’autre. Le book club a aussi été l’occasion de se pencher sur le sous-texte et c’est intéressant de constater que nous avons toutes et tous des lectures différentes : une participante soulève la question du prénom d’Eva et se questionne sur une éventuelle référence biblique, un autre vit le livre comme un retour pur et simple à la nature. Pour ma part, j’ai écouté pas mal de podcasts au début du confinement, notamment sur les liens faits entre féminisme et sorcellerie. Bien que ce soit une mouvance à laquelle je ne me sente pas sensible – cycle lunaire, wicca, tarots, etc. – ça a beaucoup conditionné ma lecture, et j’y ai trouvé un sens profondément militant, cela étant renforcé par une scène qui nous a beaucoup fait débattre et que j’ai interprété en ce sens. J’ajoute aussi à ça le thème du deuil, omniprésent du début à la fin, car le livre se construit un peu comme un grand Adieu à une succession de choses, humaines comme matérielles.
En conclusion … Pas une lecture coup de cœur, mais assurément un grand livre difficile à noter, car il n’est pas « flatteur ». C’est une lecture qui ne nous ménage pas – aussi bien dans la thématique que dans certaines scènes qui peuvent choquer ou au moins interroger.
Votre commentaire