Genre : Littérature US
395 pages
« États-Unis, demain. Avortement interdit, adoption et PMA pour les femmes seules sur le point de l’être aussi. Non loin de Salem, Oregon, dans un petit village de pêcheurs, cinq femmes voient leur destin se lier à l’aube de cette nouvelle ère. Ro, professeure célibataire de quarante-deux ans, tente de concevoir un enfant et d’écrire la biographie d’Eivor, exploratrice islandaise du XIXème. Des enfants, Susan en a, mais elle est lasse de sa vie de mère au foyer – de son renoncement à une carrière d’avocate, des jours qui passent et se ressemblent. Mattie, la meilleure élève de Ro, n’a pas peur de l’avenir : elle sera scientifique. Par curiosité, elle se laisse déshabiller à l’arrière d’une voiture… Et Gin. Gin la guérisseuse, Gin au passé meurtri, Gin la marginale à laquelle les hommes font un procès en sorcellerie parce qu’elle a voulu aider les femmes. »
Paraît le 16 août 2018
Livre reçu dans le cadre d’un service presse de l’éditeur Presses de la cité, via Netgalley.
Quatre femmes, quatre symboles, sont au cœur de cette histoire de Leni Zumas. Témoignage à la fois d’un passé pas si éloigné et d’un futur qui n’a jamais été aussi proche, nous voici plongé dans une Amérique tout à fait actuelle, qui aurait mis fin à la jurisprudence de l’arrêt Roe vs Wade, celui-même qui a permis à l’avortement d’être légalisé dans les années soixante-dix.
Nous sommes au début de l’année scolaire, pas très loin de la ville de Salem – ce qui n’est pas un hasard. Roberta, dite Ro, est l’image de la professeure quarantenaire très progressiste. Tout en tentant de ne pas faire de politique en classe, ce qui lui est formellement interdit, elle tente d’éveiller ses élèves à la liberté individuelle et à l’égalité en les encourageant à ne pas suivre un chemin tout tracé.
« Elle vit depuis sept ans au pied des montagnes boisées, embrumées les falaises de trois cents mètres plongeant pic dans la mer. Il pleut sans arrêt. Des camions forestiers paralysent la circulation sur la route de corniche, les villageois attrapent des poissons ou travaillent pour les touristes, le pub affiche une liste des naufrages, on teste chaque mois la sirène du tsunami, et les élèves apprennent à dire « miss » comme s’ils étaient des domestiques. »
Roberta est célibataire depuis quelques temps, mais désire plus que tout un enfant. Elle investit donc tout son argent dans une procédure de PMA, avec choix des donneurs sur catalogue, qui ne fonctionne pas. Il y a urgence, pourtant : le 15 janvier suivant, l’adoption et la PMA seront restreints aux seuls couples hétérosexuels. Dans le même temps, elle écrit un livre sur une exploratrice du XIXème siècle Eivur Minnervudottir, une femme qui semble avoir suivie sa propre destinée malgré les carcans de l’époque.
« Pourquoi en veut-elle un, pour commencer ? Comment peut-elle dire à ses élèves de rejeter le mythe selon lequel leur bonheur dépend de la présence d’un compagnon si elle croit au même mythe à propos de la conception d’un enfant ? »
Autour de Ro, il y aussi Susan, la femme d’un collègue de Ro. Les deux femmes ont une relation ambivalente, rongée par l’envie qu’elles éprouvent l’une vis-à-vis de l’autre, sentiment qu’elles détestent d’ailleurs. Susan n’a pas terminé ses études de droit, s’est mariée et a rapidement eu des enfants. Elle est désormais mère au foyer – une desperate housewife en somme – et voit en Ro un symbole de liberté qu’elle envie. Ro ne voit qu’une femme qui a la chance d’être mère. Puis il y a Mattie, une jeune élève brillante de Ro, génie des mathématiques qui tombe enceinte – une teen mom – ; son avenir universitaire semble alors lui échapper.
Enfin, il y a la sorcière, celle qu’on accuse de tous les maux, Gin. Elle vit en forêt, à la lisière de la ville, et sa personne est l’objet de tous les fantasmes. Une question, forcément, resurgit : faut-il la brûler ?
« Elle a donc aidé :
- Des expéditions et des échanges commerciaux à franchir le passage du Nord-Est, autrefois considéré comme impénétrable.
- Les pirates blancs à emprunter de nouvelles voies pour voler les non-Blancs, les non-riches ou les non-humains.
- Le forage du pétrole, du gaz et le forage minéral dans l’Arctique.
- Le recul de la banquise.
Minnervudottir s’est peut-être sentie libre, mais elle était un rouage dans la machine impérialiste à voler les terres, pomper les ressources, baiser le climat. »
Le roman est puissant. Il illustre à merveille notre perméabilité aux clichés et aux injonctions dont on aimerait tant se défaire – ou se croire au moins défait. Il met parfaitement en avant le renoncement douceâtre – une petite lâcheté dont nous sommes quasi-tous coupables – de personnes qui avaient des convictions mais qui n’en ont pas fait étalage lorsque des retours en arrière se sont fait sentir. Une multitude de thèmes y sont abordés en outre, comme le féminisme, la politique, les effets dévastateurs du progrès, mais surtout notre manière de nous placer en tant qu’individu dans le collectif, de notre peur de sortir du cadre.
Leni Zumas, en choisissant quatre figures très symboliques de la culture US, puis plus largement de la femme dans l’histoire, convoque ces images fortes dans un style assez particulier, parfois un peu décousu, ciselé. Par moment, j’ai trouvé sa façon d’écrire presque brutale, ce qui illustre parfaitement cette violence sourde qu’elle nous raconte.
C’est le personnage de Ro que j’ai trouvé le plus fort. Ce combat intérieur incessant entre ce qu’elle aimerait être et ce qu’elle ressent malgré tout m’a touché. C’est un personnage avec de nombreuses zones d’ombre mais surtout, un magnifique miroir tendu à nos interrogations.
En conclusion …
Les heures rouges est une très belle découverte, de celles qui comptent. Les histoires que nous raconte Leni Zumas sont fortes, empreintes des contradictions qui nous hantent tous. Je ne peux que le conseiller si vous êtes sensibles aux sujets abordés !
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